L'interview d'Alan Monfort et de son éditeur


©photo JFC - Le télégramme 2007
Alan Monfort, le traducteur de Gaston en breton, et coordinateur du projet, a accepté de répondre à quelques questions... Yoran Embanner a complété ces réponses de son point de vue d'éditeur... 

Le projet et les langues minoritaires

Le projet est-il issu de l'éditeur qui s'est spécialisé dans la promotion et la sauvegarde des langues minoritaires, ou est-ce un projet porté par le traducteur ?

Alan Monfort : Je suis à l'origine du projet. J'avais traduit 200 planches des anciennes formes des albums de Gaston pour mon unique plaisir personnel. C'était en 2001-2002. J'avais scanné les planches, vidé les bulles, effacé les onomatopées et les textes des affiches et tout remplacé par ma traduction bretonne. Je ne faisais pas ce travail dans le but d'une édition. Cependant, après quelques mois, j'ai tout de même proposé mon travail à une maison d'édition qui était intéressée, mais qui connaissait des difficultés financières. Elle a disparu quelque temps plus tard, malheureusement. Finalement, j'ai pris contact avec Yoran Delacourt que je connaissais. Je lui ai proposé cette traduction, il a été intéressé, mais il avait d'autres projets à terminer. Ce n'est qu'un an plus tard qu'il a repris contact avec moi pour savoir si j'étais toujours d'accord. Il lui a fallu près d'un an pour mener à bien les tractations commerciales avec Dupuis. Le premier Gaston en breton est sorti en décembre 2006.

Pourquoi choisir Gaston Lagaffe ?

Alan Monfort : Étant l'initiateur du projet, j'ai traduit Gaston, car je suis un fan depuis l'enfance. Nous avions la collection complète à la maison. Mais c'est mon frère qui l'a récupérée. Il se trouve que Yoran Delacourt est lui aussi un grand fan, considérant Gaston comme membre de son carré d'as de la bande dessinée avec Astérix, Tintin et Lucky Luke.

Pourquoi l'album 10 ?

Alan Monfort : Nous profitons de la réimpression des albums épuisés en français par Dupuis pour imprimer nos propres albums. Trois albums nous avaient été proposés. Yoran et moi avons choisi celui-là parmi ces trois réimpressions.

Ces éditions d'albums en langues minoritaires, rencontrent-ils un public suffisamment large dans certaines régions où les locuteurs de ces langues sont réellement très minoritaires ?

Alan Monfort : Les 4000 exemplaires wallons et les 2000 exemplaires alsaciens ont été vendus en à peu près trois mois. Il est encore trop tôt pour établir les ventes des autres langues. Mais il est vrai que pour certaines langues le marché n'est pas toujours à la hauteur de nos espérances.

Réponse de l‘éditeur : Il y a en général une forte demande. 

Cas particulier : la Corse avec un potentiel de 300 personnes qui lisent (et donc achètent) ce qui est publié en corse. Paradoxalement la langue est bien vivante.

Autre cas : la langue d’Oc ou occitan. La demande est forte de la part de la population et donc du milieu associatif mais le blocage est systématique des autorités politiques, des médias et même des libraires.

Y'a-t-il aujourd'hui un regain de l'importance que l'on accorde aux cultures locales ?

Alan Monfort : Les gens sont généralement attachés à leur langue, mais les autorités étatiques n'aident pas toujours les populations à maintenir les parlers de ce pays dans un état satisfaisant. Les écoles ne sont pas assez nombreuses, les médias n'offrent pas la place nécessaire aux langues régionales.

Réponse de l‘éditeur : Il y a un regain d’intérêt des populations concernées pour leurs langues, leurs cultures et plus généralement leurs identités. C’est un phénomène général qui concerne toute l’Europe et c’est aussi une réponse à la mondialisation. 

Les plus mal lotis sont ceux de la République française (qui rêve depuis sa création d’un état monoethnique). La France n’a toujours pas signé la charte européenne des langues minorisées. Elle vient d’interdire aux Tahitiens d’utiliser leur langue dans leur Assemblée Territoriale et aux Alsaciens d’utiliser le bilinguisme dans la prochaine campagne pour les municipales.( Voir le site de l’Agence Bretagne Presse agencebretagnepresse.com )

Comment s'est fait le choix des langues de cette édition ? (Rencontre avec des traducteurs ou des distributeurs régionaux)

Réponse de l‘éditeur : A part le basque, j’avais déjà des tous les contacts, ayant édité des dictionnaires, justement pour faire connaître les langues peu parlées d’Europe.

Par exemple, Yannick Bauthière, le wallon travaillait sur un dico de poche wallon/français qui aurait du paraître chez Yoran Embanner en 2008. Gaston est donc responsable de ce retard… Il n’y avait pas de dictionnaire basque car le marché est très bien pourvu. Mais ayant depuis longtemps des relations amicales en Euskadi, il n’a pas été trop difficile de trouver le traducteur Hedoi Etxarte.

Y'a t-il d'autres projets de cet éditeur pour d'autres éditions dans d'autres langues (par ex. Picard)?

Réponse de l‘éditeur : Pourquoi pas en effet. Condition importante : il faut que la langue fasse partie d’un pays qui ait une “ culture BD ” en plus d’un attachement sentimental à la langue locale. 

Le picard ? je dois avouer que je ne connais aucun traducteur potentiel (donc appel d’offre). Je suis en pourparlers pour le romanche (la 4ème langue de Suisse)et pour le catalan. 

Tu as assuré la coordination du projet avec les autres traducteurs, as-tu établi un cahier des charges précis pour les autres intervenants ?

Alan Monfort : J'ai demandé à mes compères de me fournir un fichier au format RTF de leur traduction en mettant un mot ou deux de la bulle en français pour chacune d'elles afin que je ne me trompe pas. Yoran leur avait demandé de traduire également la quatrième de couverture relatant la biographie de Franquin. Il a fallu faire la liste des étiquettes, onomatopées et autres affiches à traduire, car les traducteurs ne savaient pas ce qui avait été effacé par Dupuis.

Une fois la traduction faite et mise en page, je leur ai envoyé un CD-ROM avec leur album au format PDF afin qu'ils pussent le relire. Une fois mis en situation, les traducteurs ont pu relire leur texte de manière bien plus efficace. C'est amusant comme les choses surgissent de manière évidente avec de la couleur en contexte graphique. Ils m'ont envoyé leurs corrections que j'ai intégrées à leur album. J'ai ensuite assuré le suivi technique avec Dupuis, avec notamment la forte implication de Jérôme Baron.

La traduction

Comment et qui choisit les traductions des noms propres ? Toutes les langues ont conservé le nom de Gaston, sauf le savoyard qui a opté pour Gust proche du Guust néerlandais !

Alan Monfort : Chaque traducteur est responsable de ses choix, mais Dupuis avait demandé que les traductions conservassent le prénom de Gaston ou une forme locale de ce prénom. Pour les autres, les traducteurs étaient libres. Par exemple, Lagatu (Prunelle) signifie « oeil noir », c'est un nom de famille très répandu en Bretagne. Je n'ai pas cherché longtemps la traduction de ce nom de personnage.

Bien qu'il se défendait d'être un amateur de calembours (à l'inverse de Delporte), les dialogues de Franquin pour Gaston sont très travaillés en français, et jouent beaucoup sur les mots. Est-ce une difficulté pour la traduction ? (Par ex. pour la chute de la page 28 "un coup de téléphone"!!!)

Alan Monfort : Pour dire la vérité, c'est la plus grosse difficulté du travail. Traduire un dialogue n'est pas très compliqué, mais lorsqu'il est truffé de calembours et autres jeux de mots, sans oublier les allusions (comme les merveilleux fous volants) l'exercice devient bien plus ardu mais aussi bien plus amusant. C'est un de mes grands plaisirs lorsque je traduis Gaston : réussir à tenir tête à l'auteur dans sa fantaisie. Certains jeux de mots m'ont posé de grosses difficultés, mais quand on a trouvé une équivalence, c'est une grande satisfaction personnelle. Je me suis souvent dit : « Vous ne m'avez pas eu sur ce coup-là ! »

Conserves-tu l'esprit en cherchant des tournures des jeux sur les mots propres à chaque langue, ou la traduction littérale est-elle privilégiée ?

Alan Monfort : En ce qui concerne les jeux de mots, j'avais une règle : à un jeu de mot en français devait répondre un jeu de mot en breton. Mais ce jeu de mots devait être breton et pour ce faire je me suis parfois beaucoup éloigné du jeu de mot français tout en respectant scrupuleusement le contexte imposé par Franquin. Considère la couverture du numéro 14, le premier album en breton. Franquin fait dire à De Mesmaeker : « Vous cultivez la farce monstrueuse ». C'était impossible à dire en breton. « Plantañ kentel ganin » (mot à mot : planter une leçon avec moi) signifie faire la leçon avec des mots ou des manières qui marquent. Ce qui sous-entend que l'homme d'affaires semble croire que la volonté de saborder les contrats est manifeste. Je m'éloigne sans doute de ce que Franquin pensait (peut-être pas)mais le contrat est rempli.

Prunelle répond : « Quel manque de pot ! » que j'ai traduit par « Lakait brasoc'h pod war an tan, mar plij » (mettez un pot plus grand sur le feu, s'il vous plaît) signifiant « Ayez un peu plus de patience ». Tout cela est assez éloigné du texte français, mais le contexte est respecté et les expressions parlent aux brittophones.

Onomatopées, sons, jurons... Pourquoi les traduire, puisque le même alphabet latin est utilisé pour toutes ces langues ? (ex... coucoucou devient kuku en alsacien)

Alan Monfort : Et « toc toc » devient « dao dao » en breton quand tu frappes à la porte. C'est une des bizarreries des langues, les oreilles ne semblent pas entendre la même chose. Mais pour les bruits, on ne choisit pas toujours, il y a des sons que la langue exprime d'une certaine façon et il ne faut pas aller à l'encontre de ses habitudes. Certains bruits qui n'ont jamais été entendus ailleurs que dans les albums de Franquin ont été laissés tels quels : qui peut me dire comme on dit « piouitiiigtrrr » en basque ?

Comment est fait le lettrage ? Certains auteurs de BD utilisent désormais des polices de caractères informatiques de leur propre écriture pour le lettrage de leurs planches dans les différentes traductions... L'utilisation d'une police faite à partir de la calligraphie franquinienne n'aurait-elle pas donné un résultat plus proche des planches françaises ?

Alan Monfort : C'est moi le coupable, monsieur le juge. Un ami me l'a déjà dit, mais Dupuis ne m'a pas proposé de police manuscrite et je n'avais pas trouvé, à l'époque, une police qui se rapprochât davantage de la main de Franquin. De plus, il fallait que cette police fût manuscrite, gratuite et compatible PC/Mac. J'ai écumé les sites proposant des polices et j'ai choisi celle qui me plaisait le plus. Et je recherche encore un logiciel qui permette de créer une police manuscrite (à un pris raisonnable). Car comme toujours, c'est quand on a besoin de quelque chose que l'on ne le trouve pas. Les polices que j'ai utilisées se rapprochent davantage de l'écriture des premiers albums.

Il faut employer trois polices différentes pour pouvoir faire face aux exigences de Franquin qui aimait beaucoup faire de son texte un vrai personnage. Et merci à mon logiciel de mise en page qui m'a permis de déformer mes caractères dans tous les sens. Je viens de trouver une police manuscrite sur internet qui est plus proche de l'écriture de Franquin dans les derniers albums. Elle sera peut-être dans le prochain Gaston traduit.

La diffusion et la distribution

Cela dépend peut-être plus de l'éditeur, mais je suppose que la diffusion est essentiellement faite sur les pays de ces langues, avec des actions locales de promotion ou de sensibilisation. D'après mes recherches sur internet, l'édition en wallon a été fortement relayée dans la presse locale, voire nationale en Belgique. Est-ce le cas dans les autres pays ?

Alan Monfort : En Bretagne, votre serviteur a fait la première page du Télégramme, oui Monsieur. Ouest-France a proposé deux articles (l'un en pages locales de Vannes, l'autre en page Betagne). Plusieurs magasines qui traitent de la matière de Bretagne (Bretons, Breizh Mag, Armor Magasine...) ont commis un article, une présentation de l'album. France 3 a présenté rapidement Gaston 10 dans une de ses émissions. Pour le breton, il ne faut pas se plaindre de la couverture médiatique. Les autres langues ont elles aussi eu les honneurs de la presse, de façon plus ou moins appuyée.

Réponse de l‘éditeur :  En général, la presse locale relaie très bien “ l’événement Gaston ” sauf en Occitanie, (les pays de langue d’Oc) soit les 32 départements du sud de la France. Comme je l’ai déjà dit : silence !. Les seuls articles parus émanent de médias militants ou de journalistes passionnés.

Yoran Embanner 71 Hent Mespiolet 29170 Fouenant

Décembre 2007

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