Lundi 6 janvier 1997 - Première Edition - numéro 4862

INVENTAIRE DES INVENTION DU DESSINATEUR
Toute l'oeuvre de Franquin regorge de trouvailles

Mathieu Lindon 
(page 3)

Les savants fous de la littérature populaire ont toujours des inventions susceptibles de terroriser le monde. Chez Franquin, ce rôle est tenu par Zorglub. Mais Gaston, Fantasio et le comte de Champignac, tout le monde est un peu inventeur. Et chacun met plutôt son talent dans des découvertes imprévues mais d'une utilité indéniable, comme l'essuie-glace pour lunettes; le "métomol", qui, distribué à coups de grenades ou de rafales de mitraillettes, permet de faire fondre (au sens propre, l'acier s'affaisse) la belliqueuse armée ennemie et tous ses tanks; ou la simple petite machine grâce à laquelle un conducteur peut faire instantanément passer les feux rouges au vert. Le pacifisme n'est pas l'idéologie pour laquelle se battent Franquin et ses personnages, c'est seulement l'assurance de la tranquillité et du plaisir: elle ne peut donc que pacifiquement s'imposer à tous. Dans le Prisonnier du Bouddha, c'est l'apparition du "générateur atomique Gamma", dit "le GAG par abréviation", qui va permettre à Spirou et à sa bande d'enfreindre la loi de la pesanteur et de délivrer le gentil savant, auquel les méchants militaires (ici chinois) veulent voler sa découverte.

L'univers de Franquin a ses racines dans la vie pratique. Le dessinateur, qui adore s'attacher aux détails de ses décors, imagine dès les années 60 une lessive qui ne se contente plus de laver "mais teint votre linge en blanc". La splendide "turbomobile" est la voiture la plus rapide du monde, à condition qu'elle ne tombe pas dans des embouteillages. Le notaire chargé de juger les inventions de Fantasio et de son cousin Zantafio risque de perdre toute sa neutralité si on l'accuse, fût-ce à juste titre, d'avoir une tache d'œuf sur son veston. Fantasio est lui-même d'une nervosité dont les personnages prétendus positifs de BD montrent peu d'exemple. Pareil pour l'abyssale paresse de Gaston. Si ce n'est que Lagaffe peut se démener à imaginer des pelletées d'inventions, dès lors qu'elles ne servent absolument pas le journal Spirou qui l'emploie. Quand il s'agit de faire rater l'affaire des "contrats" que M. Demesmeaker s'apprête perpétuellement à signer, il sait faire preuve d'une ténacité surprenante.

Quant au comte de Champignac, si ses inventions (que des incidents détournent perpétuellement de leur but premier) peuvent sembler ahurissantes, elles s'attaquent pourtant à des questions qui taraudent l'âme humaine depuis les origines du monde: comment devenir plus costaud, comment ne jamais être fatigué et comment accélérer le processus du vieillissement. Cette dernière potion magique, apparemment moins réclamée que les deux autres, est destinée à un bébé dinosaure que les savants du monde entier aimeraient étudier adulte de leur vivant. On meurt peu, chez Franquin. Cette triste destinée est cependant celle d'un savant aussi belliciste que distrait qui finit, à la satisfaction de ses collègues et des lecteurs, par être mangé tout cru par le dinosaure déjà grand.

".

 

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