M’enfin
! Gaston Lagaffe s’anime
18
septembre 2008 - blog.lesoir.be - Daniel Couvreur
Paresseux
du trait, Gaston a mis 50 ans à bouger : le virus Franquin a
contaminé le studio Normaal.
Le chat déchire le petit écran. Prunelle fait ses yeux furibonds.
Gaston traîne les mots dans la bouche de Thomas Fersen et quand
Moiselle Jeanne rosit, elle a tout d´une bombe. Les gaffes de
Lagaffe s’animent sur un air de trompette à bulles de savon.
Le
réalisateur français Alexis Lavillat réussit l’impensable :
faire bouger Gaston au « millipoil » sans trahir la maestria
originale d’André Franquin. Gaston est beau à pleurer, drôle à
faire rire les mouettes. Le pilote d’une série de 78 épisodes de
7 minutes, entièrement créée à partir des dessins et des scénarios
du maître, a été présenté jeudi au Cartoon forum européen.
Monsieur De Mesmaeker a immédiatement proposé le contrat de 5,5
millions d´euros à France Télévisions, la RTBF et la TSR. France
3 diffusera les 26 premiers épisodes dès la rentrée 2009.
Jean-François
Moyersoen, dont la société Marsu Production gère les droits de
l’œuvre, et Isabelle Franquin, la fille du créateur, ont
interdit de gommer quoi que ce soit dans les dessins. Pas question
de remonter les boulettes ni de réécrire les bévues. Le studio
parisien de Normaal Animation a digitalisé les planches originales
pour mettre le trait de Franquin en mouvement. C’est la première
fois qu’un personnage de bande dessinée passe de la case à l’écran
sans perdre son âme graphique et narrative.
Très
déçu par les adaptations du Marsupilami, Franquin avait tracé une
ligne rouge de son vivant : « Je
ne veux en aucun cas être l’esclave de cette télé gourmande qui
avale les scénarios à profusion, qu’il faudrait concocter avec
une équipe de dix scénaristes. » Alexis Lavillat
a respecté son vœu : « Nous
n’avons rien inventé qui ne se trouve déjà dans les albums. Un
gag, représente entre 40 et 80 secondes d’animation, Ils sont
regroupés pour former des épisodes de 7 minutes comprenant 4 à 6
sketches basés sur un thème ou un personnage récurrent. Il y a,
par exemple, un épisode Jules-de-chez-Smith-en-face. »
Normaal
Animation a dû résoudre le problème de l’évolution graphique
de Gaston. Entre l’antihéros de 1958, souffre-douleur de
Fantasio, le bricoleur harcelé par Prunelle dans les années 70 et
le Gaston écolo humaniste, la ligne de Franquin s’est assouplie
puis relâchée sur la fin. Le réalisateur a privilégié une époque
: « On
a choisi la grande période des années 70 et remplacé Fantasio par
Prunelle dans les anciens gags. Franquin avait lui-même substitué
Prunelle à Fantasio parce que le rôle de rabat-joie lui convenait
mal. Frédéric Jannin est notre conseiller artistique et le garant
moral du projet. Il a travaillé avec Franquin et nous aide dans les
choix, notamment en ce qui concerne la couleur dont Franquin n’était
jamais satisfait dans les albums. C’est du boulot de dentellière
mais c’est une bénédiction de pouvoir travailler sur les dessins
de Franquin. Le trait de Gaston bouge tout seul. Le mouvement ne le
dénature en rien ! Ce personnage mou porte sa propre dynamique cachée.
»
Alexis
Lavillat s’est coulé au cœur de l’œuvre, laissant Franquin
faire le reste : « Face
à un dessin aussi sublime, on n’essaie pas de faire le malin.
Tous ceux qui bossent avec moi sur le projet sont nés dans les
albums de Gaston. Franquin, c’est un peu notre Beatle. On
n’aurait jamais pu trouver 100 animateurs capables de dessiner
comme lui. Il n’y avait pas d’autre solution que de servir
naturellement son dessin en le préservant jalousement. On a voulu
lui rendre ce qu’il nous a donné. »
La
voix cachée de Gaston
- Dessin
animé Cartoon forum européen
Pour
Olivier Nomen, le producteur de Normaal Animation qui a grandi en
Belgique, la série animée de Gaston, présentée au Cartoon forum,
s’inscrit dans un vrai retour aux sources : « À
ses débuts dans Spirou, Gaston n’était pas un héros de bande
dessinée. Le journal l’avait présenté comme un animateur de
pages. Il n’avait pas d’albums. Son créateur, le Belge André
Franquin, a débuté sa carrière dans un studio de dessin animé,
chez CBA, à Bruxelles… La technique d’animation utilisée pour
faire bouger Gaston rend un hommage respectueux au maître. Ce que
l’on verra à l’écran est à 99 % de la main de Franquin. Les
ordinateurs ne sont là que pour remplacer les bulles.»
Toute
sa vie, Franquin a entretenu une relation d’amour-haine avec le
dessin animé. En 1944, chez CBA, il signe le court-métrage du Chat
d’la Mèr’ Michel. Le résultat le laisse « vraiment très déçu
». Dans les années 60, quand il est question d’une série animée
du Marsupilami, il réagit froidement : « Il
faut calculer son coup, y aller prudemment, car on pourrait arriver
à des catastrophes. » Il réalise tout de même
une bible graphique mais les Américains de Marvel clonent le petit
animal de la forêt palombienne en super-héros. « Franquin
est sorti de là avec le front lourd et de la fumée qui lui sortait
des oreilles », témoignera son complice Yvan Delporte,
ancien rédacteur en chef de Spirou.
Finalement, c’est Walt Disney qui signe le contrat d’adaptation
pour faire du Marsupilami « le Mickey de demain », avec le résultat
innommable que l’on sait. Le bizness gomme l’art du créateur…
Pour
éviter de répéter la gaffe, Normaal Animation choisit
d’inverser le processus. Chez Gaston, l’affectif prime sur la
rentabilité. « Les
gags ressemblent déjà à de véritables dessins animés sur papier,
raconte le réalisateur, Alexis Lavillat. Il
n’était pas nécessaire de les passer à la moulinette de
l’animation moderne. Et avec le millier de scénarios disponibles,
la matière existante reste inégalable. Gaston est né dans un
monde sans GSM, sans mail, sans mémoire d’ordinateur. C’est le
remède idéal à notre époque de stress absolu ! Je pense que les
jeunes ont encore plus besoin aujourd’hui qu’hier de personnages
positifs comme Gaston, dépourvu de toute violence et méchanceté.
C’est un rebelle tendre, qui défend des valeurs exemplaires à réactualiser
d’urgence, telle la sieste. »
Thomas
Fersen, c’est Gaston
Le
plus difficile a été de faire parler Gaston. Au terme d’un
casting prodigieux, le chanteur Thomas Fersen s’est imposé.
« Un
jeune lecteur avait écrit à Hergé que Tintin n’avait pas la même
voix dans les dessins animés que dans les albums. Tout le problème
est là ! résume Alexis Lavillat. Des
stars ont postulé pour tenir la voix de Gaston. Certains en
faisaient trop. D’autres sont restés tétanisés ou avaient un
accent trop parisien. Franquin pensait que Gaston avait une voix de
fumeur, celle de Jidéhem, l’auteur des décors des premiers gags.
On a écouté un bout d’interview de Jidéhem et on a pensé à
Thomas Fersen. Sur l’un de ses disques, il disait avoir pris la
voix de son père quand il lui lisait les albums de Gaston. C’était
la voix cachée qu’on attendait. »
Gaston
est sans doute à ce jour la plus belle réussite de l’histoire
des adaptations de héros de bande dessinée au petit écran. «
Normaal » : la série a bénéficié du meilleur des animateurs,
Franquin en personne.
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